Mardi 5 octobre, direction Vitry-sur-Seine pour me rendre au Wat Sovannaphom : une pagode cambodgienne. Ce jour là, j’ai eu l’honneur d’assister à une cérémonie de Pchum Ben – la Toussaint Khmère – avec à la clé, un repas partagé avec la communauté.
Micro-voyage à Ivry-Sur-Seine
09h15 – Porte de Choisy, sous une pluie battante, j’attends le tram 9. Je partage mon parapluie avec une voisine éphémère : une petite dame au caddie rempli, qui tient sous le bras des you tiao tout chauds de chez Jie-Jia. Derrière nous, un bruit métallique. C’est la boucherie Phnom Penh qui lève son rideau de fer. À voir le nombre d’habitués qui attendent sous les trombes d’eau, on dirait que c’est ici qu’il faut acheter de bons morceaux de boeuf.
Quatre arrêts de tramway et 5 minutes de marche ont suffit pour que le soleil pointe le bout de son nez. Je me retrouve au milieu d’une rue pavillonnaire avec de beaux jardins individuels. Un figuier embaumant me fait de l’oeil mais ce sont les effluves d’encens de la maison d’à côté qui attirent davantage mon attention. Me voilà arrivée au n°104 de la rue Champollion. Dans une petite maison à la cour verdoyante se trouve la discrète pagode Wat Sovannaphom. Sous une sorte de porche de fortune composé de bâches en plastique bleu, je retire mes chaussures et observe en silence : des fanions de couleurs, deux autels de bouddha, l’un avec des bougies allumées, l’autre avec de l’encens puis à ma droite, une table à offrandes avec de beaux bols en métal remplis de riz. Je suis déjà ailleurs !
Wat Savannaphom
A peine déchaussée, j’entrevois la première robe safranée d’un moine timide. Sortie de je ne sais où, une dame m’attrape gentiment le bras pour me conduire dans la salle des cérémonies. Elle pousse une porte et me voilà accueillie par le Vénérable, le moine responsable du wat : Monsieur ROEURN Bun Hay. La petite dame me sert un thé pour me réchauffer tandis que le Vénérable m’explique qu’il est heureux de me recevoir (alors que c’est moi qui suis contente et honorée d’être ici !). Nous échangeons en toute simplicité, lui sur son estrade, moi, assise en tailleur sur le tapis rouge. J’apprend que le temple existe depuis 2018 et qu’il est entièrement financé par la communauté cambodgienne. L’association bouddhiste qui gère ce wat aimerait pérenniser l’implantation du temple en achetant la maison dans laquelle vivent actuellement quatre moines cambodgiens, mais ce n’est pas une mince affaire. Plus qu’un lieu de culte, le Vénérable souhaite faire de cette pagode un lieu offrant un centre de retraites et séminaires, organiser des activités culturelles et sociales accessibles à tous, recevoir des cours de français pour que tous les moines puissent être à même d’échanger dans la langue de Molière.
La vie de moine bouddhiste
Nous continuons à discuter de nos vies respectives et le Vénérable me raconte dans les grandes lignes son parcours… À l’âge de 12 ans, il vivait dans la province de Kampot, c’est là-bas, dans le sud du Cambodge qu’il revêt sa première robe monastique. Vingt ans plus tard, il partira en France, d’abord à Bagneux puis dans un autre temple du 92 avant d’être en charge de cette pagode de Vitry. Il m’explique succinctement comment se déroule ici le quotidien des moines : 6h-8h méditation puis cérémonie, 12h c’est l’unique repas de la journée et rebelote de 18h à 20h méditation. Une vie rythmée et sédentaire.
La Toussaint cambodgienne : Pchun Ben
De nombreuses personnes arrivent dans la salle où nous nous trouvons, je comprends que la cérémonie ne va pas tarder à démarrer. Derrière moi, un moine de 83 ans tout sourire (mais peu de dents), dans un français impeccable, me rappelle gentiment ce qu’est Pchum Ben : “Dans la religion bouddhiste khmère, Pchum Ben est l’équivalent (ou presque) de votre fête des morts : la Toussaint”. Pchum signifie « se rassembler » et Ben « boule de nourriture ». Durant une quinzaine de jours, les familles rendent visite aux moines, leur apportent de la nourriture et d’autres offrandes utiles. Les deux derniers jours des célébrations, les familles concoctent ce qui sera : le festin des esprits affamés.
Une matriarche vient de déposer une douzaine de gâteaux de riz dans des feuilles de banane et du porc grillé tandis que le maître de cérémonie s’avance vers moi. Il me demande d’écrire les noms de mes ancêtres et amis décédés, je m’exécute. Les moines chantent des sutras tandis que ma voisine me propose de suivre ses gestes et postures. Attentive et par souci de respect, je la copie. Je comprends donc au fil de la cérémonie que Pchum Ben est certes l’occasion de se réunir et d’apporter de l’aide matériels aux moines et monastères, mais c’est surtout une manifestation permettant d’exprimer sa reconnaissance et sa gratitude envers ses ancêtres. Le nom de tous les êtres aimés et disparus inscrits sur les papiers sont lus, un par un, afin de permettre à l’esprit du défunt de recevoir les offrandes qui lui sont apportées. La liste des noms est ensuite brûlée. J’ai su par la suite que c’est dans le but de faire savoir aux âmes errantes où les proches sont réunis. Notre cérémonie se termine par de longues minutes de médiation. L’ambiance environnante, le recueillement en communauté, la récitation en choeur des enseignements du bouddha et l’écoute des noms de mes ancêtres font venir les larmes, je les laisse couler sur mes joues. Les moines continuent les incantations et le Vénérable asperge l’assemblée d’eau sacrée. En faisant ainsi, il nous dote d’un bon karma. Nous voilà désormais protégés. Une fois les bâtonnets d’encens consumés et la cérémonie terminée, j’ouvre enfin les yeux et me rends compte que tous mes voisins et voisines ont eux aussi laissé dépasser leurs émotions. C’est beau à vivre car en ces temps de pandémie, ces moments de recueillement pour nos morts sont souvent compromis.
11h – Rapidement, la vie et les gestes du quotidien reprennent : des bougies sont allumées et on s’affaire en cuisine afin de servir les plats offerts aux moines. Je mets la main à la pâte et installe, par terre, ce qui sera notre festin : riz, soupe au poulet, vermicelles aux légumes, canard et champignons, …
Ce repas partagé et cette immersion dans ce temple bouddhiste ont été une régalade enrichissante, tant humainement que gustativement. Je remercie toute le Vénérable et toute sa communauté pour cette invitation « en terre inconnue ».
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