2020 aura marqué les esprits ! Une nouvelle fois, en un clin d’oeil, les bars ont dû fermer leurs portes pour lutter contre la propagation de l’épidémie. C’est un choc pour beaucoup, parfois une deuxième maison qui se ferme et un nouveau coup dur pour les petites entreprises familiales que sont les bars et bistrots. Lieu de brassage, de détente, de réconfort et parfois même de refuge, certains lieux sont en péril, voire en voie de disparition. Je me suis intéressée à ces creusets culturels et ai rencontré pour cela Pierrick Bourgault. Auteur et photographe, Pierrick multiplie les hommages aux « comptoirs où se racontent les vies d’un quartier ».
INTERVIEW de Pierrick BOURGAULT
Avant de rencontrer Pierrick Bourgault, il m’a envoyé son CV long comme un menu de restaurant sino-cambodgien-thai des années 90 ! J’étais assez étourdie par tant d’ouvrages et d’expositions photos liés à ces lieux. Ayant lu « L’âme des bistrots » durant le confinement et dans la foulée « La mère Lapipe dans son bistrot », il me paraissait évident qu’une rencontre s’imposait avec l’auteur. Pour se faire, Pierrick m’a donné rendez-vous dans un de ses bistrots favoris du 14ème arrondissement : Os Minhotos. Un bar-cantoche portugais où l’accueil est un peu rustique, la cuisine généreuse et le vinho verde l’ami de toutes les tables.
Bistrot, rade, troquet, café du coin… ils ont plusieurs noms et différentes fonctions, quelle est ta représentation du bistrot ?
“Le concept de bistrot est souple car sa désignation change avec l’heure : le matin, on se donne rendez-vous au café, le midi au restaurant et le soir au bar pour écouter un concert ou boire un godet. Or, c’est le même espace mais avec des fonctions différentes. En ville comme à la campagne, le bistrot est effectivement un lieu à tout faire, un peu le « couteau suisse » de la vie sociale.”
Tu as écrit nombreux ouvrages sur le sujet des bistrots, qu’est ce qui t’attire autant ? En effet, une quinzaine d’ouvrages ont été publiés sur les bistrots, et d’autres sont en cours mais je ressens de l’admiration pour les patronnes et patrons, car c’est un sacré boulot que de tenir un bistrot. Comme si, tous les soirs, vous organisiez une fête chez vous, pour recommencer le lendemain. Il faut une énorme disponibilité, accepter de mettre de côté sa vie privée, savoir faire plusieurs choses en même temps.
Qu’essayes-tu de véhiculer à travers tes photographies de bistrots ?
De par le monde, les cafés et bistrots se ressemblent : un comptoir pour servir à boire, des tables, chaises ou tabourets. Ils se ressemblent depuis des millénaires. Déjà Pompéi recèlait des thermopolia romains à l’angle des rues, au comptoir en marbre bien conservé, avec des peintures murales incitatives, publicitaires et même des graffitis de clients devenus monuments historiques ! Ce que j’essaie de montrer ? La personnalité de la tenancière ou du tenancier, l’originalité du lieu, les relations entre les gens, leur monde bien à eux. Pour moi, le bistrot est un petit théâtre de la vie.
Il y a plus de 1 000 bistrots qui ferment chaque année en France, ils sont vraiment en voie de disparition, particulièrement menacés et affaiblis par la covid-19, de souci de reprise de la nouvelle génération mais aussi à cause de la spéculation immobilière. Ce sont de petites entreprises et beaucoup s’adaptent avec des « à côtés » … Y aller pour manger ou boire un café, n’est-ce finalement pas un acte engagé ?
Oui, le meilleur soutien qu’on puisse leur apporter c’est d’y aller, d’y donner rendez-vous aux amis masqués et de continuer à consommer. Le bistrot n’est pas un monument ni un musée mais un être vivant et qui doit le rester. C’est un lieu vertueux, écologique avec ses fûts de bières consignés, ses bouteilles en verre et sa vaisselle réutilisée. Il produit finalement moins de déchets qu’un fast-food ou une compagnie de repas à livrer. Ses autres activités que peuvent être une librairie, des concerts, des expos, un coin brocante, un dépôt de pain ou des services (relais colis, agence postale, SNCF…) témoignent de sa générosité et de son sens de l’adaptation. Mais tout ces bonus prennent un temps considérable et ne sont pas forcément rentables. Le bistrot n’est pas une assistante sociale ni un psychologue gratuit, pourtant le bar ou le bistrot de quartier fait tout ça à la fois.
Depuis quelque temps, on entend parler de « voyage immobile », ainsi voyager dans un bistrot, qu’est ce que cela évoque pour toi ?
J’aime la philosophie de ton blog – l’aventure au coin de la rue, au coin du bar – pertinente en cette période qui limite les déplacements ! Le bistrot offre un double voyage : d’abord, on entre chez quelqu’un, dans sa maison, petit monde, unique et personnel. Mamie reçoit dans sa salle à manger en compagnie de son chien fidèle, entourée des cartes postales envoyées par ses amis. Parfois, vous êtes dans un établissement plus urbain, mais imprégné par la personnalité du patron ou de la patronne, la discrétion d’un serveur ou d’une serveuse qui savent tout sur tout le monde, mais ne disent rien, et qu’on aime retrouver. Le second voyage, lorsque vous êtes installés au bar, en terrasse ou sur une table, consiste à écouter les conversations, ce que racontent les autres clients de passage.
Elevé dans le bistrot du grand-père, tu as baigné dans cette culture, as-tu une anecdote ou un fait marquant à partager ?
Oui, ma confusion entre maison et bistrot. En fermant son fond de commerce bien avant ma naissance, mon grand-père Pierre avait déménagé en face de son café, mais continuait à recevoir amis et clients, exactement comme avant. D’où mon impression qu’il tenait un bistrot. En réalité, il ne tenait plus cet établissement mais sa maison était devenu un café clandestin. La seule différence, c’était le statut administratif. Le
café est donc pour moi une maison ouverte sur le monde, moyennant quelques pièces qui vous donnent le droit d’entrer, et d’y rester un bout de temps.
Parle-moi un peu de la Covid… As tu remarqué des changements de comportement ?
C’est une période d’incertitudes, et elle continue. Entre les craintes des uns qui poussent votre table si elle leur semble trop proche (cela m’est arrivé) et ces bistrots restés clandestinement ouverts durant le confinement, il y a un monde ! Bien sûr, on y croise davantage de sceptiques qu’ailleurs – ces gens qui osent sortir et parler aux autres. J’ai peu photographié durant cette année, le masque mutile l’expression des visages. Et sans masque, je ne veux pas dénoncer des infractions à la loi. Comme les musiciens et tant d’autres intermittents, j’attends des jours meilleurs.
Avec ton dernier livre « La Mère Lapipe dans son bistrot » que je recommande vivement tant il parle de mixité sociale et de vivre ensemble, où conseilles-tu d’aller dans Paris pour retrouver cette atmosphère ?
« Allez donc au bar du coin de votre rue ! Il a l’avantage de ne pas être loin et c’est sa première qualité. On y croise les gens du quartier et on peut les revoir – son autre qualité. Encore faut-il qu’il soit ouvert. Quoi que…certains ont leur rideaux de fer baissés mais il y a bien de la vie derrière et les conversations sont toujours animées. »
Pour aller plus loin, suggestions de lectures :
La mère Lapipe dans son bistrot
Le bistroscope, l’histoire de France racontée de cafés en bistrots
Bars du monde
L’écho des bistrots
Tournée générale !
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