Dans un coin calme du 11ème arrondissement, au pied du métro Saint-Ambroise, s’est ouvert en octobre 2019 « le Pop-up ». Un café-restaurant qui tente un double pari : changer les regards sur les réfugiés en valorisant leurs talents et nous faire voyager les papilles le temps du repas. Avec de telles promesses je me devais de pousser la porte de cette cantine lumineuse ; j’y ai en effet mangé des plats rares et j’ai fait la rencontre d’Abdul Saboor, commis afghan doué, qui a pris le temps de me conter son parcours
Valoriser les réfugiés
Pour celles et ceux qui seraient passés à côté, Les Cuistots Migrateurs est une entreprise fondée en 2016 par Louis Jacquot et Sébastien Prunier. Frappés par les discours négatifs de la crise migratoire, ils ont décidé d’être le premier traiteur de cuisines du monde à employer des réfugiés. Briseurs d’idées reçues et laboratoire d’intégration, l’entreprise à vocation sociale est également – et surtout ! – une bonne table. Un resto solidaire qui propose bien souvent des plats rarement servis dans notre capitale.
« On est tous là pour différentes raisons et la cuisine nous rassemble. »
Des plats méconnus qui nous font voyager
Abdul Saboor, 27 ans, fait partie de cette équipe venant de tous horizons, il prépare, dresse et sert les plats au Pop-Up, la nouvelle adresse des Cuistots Migrateurs. Arborant un large sourire, Abdul me conseille sur les recettes du jour. Les mets ont tous l’air appétissants et aiguisent ma curiosité : keshke syrien (boulghour, yaourt, noix et menthe séchée), caviar bengladeshi aux aubergines, salade sénégalaise aux haricots oeil noir, poivrons, moutarde. Je me laisse finalement tenter par plusieurs mezze en entrée, puis un plat : le bolani afghan, un chausson farci de poireaux et pommes de terre.
Les Cuistots Migrateurs : un bon esprit
Abdul est satisfait d’avoir rejoint l’équipe des Cuistots migrateurs, c’est pour lui un moyen de rythmer son nouveau quotidien et de gagner sa vie, tout en découvrant les recettes d’autres pays – de Syrie, de Tchétchénie, du Népal ou d’Ethiopie. « J’adore travailler ici. D’abord parce que j’ai rencontré des personnes au grand coeur, qui parlent différentes langues et m’ont fait découvrir leur pays à travers leurs cultures et leurs cuisines. Mais aussi parce que l’on m’a aidé et fait confiance. A mon arrivée, lorsque je ne parlais pas encore français, les employés m’aidaient à comprendre en farsi ou en anglais, les bons gestes, les ingrédients et les recettes. C’était vraiment précieux d’avoir du soutien. »
Une longue route, une autre réalité
En Afghanistan, Abdul Saboor est pendant six ans employé par l’armée américaine en tant que logisticien. Mais à 23 ans, il est finalement contraint de quitter son pays, menacé avec sa famille par les Talibans. Entre son départ précipité d’Afghanistan et son arrivée en France il s’est passé plus de 2 ans. Abdul a traversé d’innombrables frontières, a été emprisonné à deux reprises, est resté plus d’un an dans un camp en Serbie où il est devenu bénévole chez No name kitchen, non loin des baraquements de la gare où il logeait avec 1200 autres migrants.
« Grâce à nos photos, les médias se sont intéressés à nous et on a réussi à s’exprimer dans la presse locale. »
Une image, plus que 1000 mots…
Sans plus jamais lâcher son smartphone ou son appareil photo, c’est en Serbie qu’Abdul a commencé à photographier le quotidien et à poster ses clichés sur les réseaux sociaux. Les graffitis laissés sur les murs comme autant de traces d’existences, avant de passer une frontière et de reprendre l’errance, sont laissés à qui veut les voir. La lumière qui traverse cette obscurité donne un petit message d’espoir et Abdul espère que la puissance visuelle de son parcours d’exil pourra peut-être humaniser ces trajectoires douloureuses, faire bouger un peu les consciences ainsi que les préjugés de certains.
Si Abdul avait des rêves dans son pays natal, ceux-ci se sont envolés il y a des années, soufflés par les Talibans. Traumatisé par son exil et l’inhumanité vécue qu’il a souhaité montrer en images, Abdul Saboor vit au jour le jour. Malgré son emploi stable, il a du mal à se projeter. Il aimerait écrire un livre pour mettre des mots sur son histoire et laisser cela derrière lui « une bonne fois pour toute ». Abdul Saboor, membre à l’atelier des artistes en exil, poursuit son travail photographique, son « devoir ». Entre deux cafés et avec un certain détachement très afghan, Abdul m’indique qu’il a réussi à être exposé prochainement à Bruxelles et en République Tchèque. Avec son oeil et sa sensibilité, il contribue à sa manière, à ce que ses semblables ne soient plus considérés comme des gens invisibles, des parias ou pire : une menace. « Parfois, je me dis que les gens ne nous voient pas comme des personnes comme les autres, comme des êtres humains. Pourtant, nous avons tous eu une vie normale avant de vivre l’exil ! »
« Si tu cuisines quelque chose de bon à quelqu’un, il sera heureux et se sentira plus proche de toi. »
La vie continue et une autre page s’écrit
Aujourd’hui, Abdul est réfugié statutaire en France. Il vit à Paris, travaille 4 jours par semaine au Pop-Up, prend des cours de français et s’entête toujours et encore à photographier ce qui l’inspire. Abdul – reconnaissant – mesure sa chance d’avoir rencontré sur son chemin des personnes qui l’ont aidé. Notamment un monsieur belge, retraité, qui l’a accompagné dans ses démarches administratives, puis lui a permis de venir en France et d’être logé à Paris. Et bien qu’engagé en CDI chez les Cuistots Migrateurs, Abdul continue ses allers-retours à Calais où il est cuisinier bénévole pour l’association Refugee Community Kitchen.
Pour conclure, Abdul me confit qu’il aimerait un jour « prendre du temps pour souffler un peu » et pourquoi pas voyager ; passer une frontière, comme tout un chacun. Un jour aussi, Abdul souhaiterait avoir suffisamment de connaissances sur les cuisines d’ailleurs pour préparer des plats qui évoquent les pays de chaque réfugiés. « A ma manière je veux les aider et les réconforter, avec une odeur, une saveur familière : leur servir un plat chaud qui apaisera un instant leurs coeurs. »
Pour aller plus loin :
Le « Pop-Up » : du mardi au dimanche, au 81 bvd Voltaire, 75011 Paris
Suivre le travail d’Abdul Saboor
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