Balade instructive sur Belleville et ses communautés chinoises.
Qui sont les Chinois de Belleville ?
D’où viennent-ils, comment se sont-ils installés,
quelle est leur histoire ?
J’habite dans ce quartier, je le vis quotidiennement, j’y fais mes courses et me régale dans les nombreuses cantines qui s’y cachent. Je lui connais beaucoup d’histoires et d’attraits, et c’est pourquoi je souhaite, pour notre première balade ensemble, vous emmener dans le bas-Belleville.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la communauté sans jamais oser le demander, suivez-moi dans “Belleville la Chinoise” !
Ancien faubourg populaire et ouvrier, son histoire est intrinsèquement liée à l’immigration. De nombreux migrants y sont arrivés tour à tour : Polonais, Arméniens, Juifs, Tunisiens, … et depuis la fin des années 70, les Chinois y résident et y prospèrent. Mais qui sont-ils et d’où viennent-ils précisément ?
Pour cette visite spéciale “la Chine à Belleville”, j’ai fait appel à Donatien Schramm : un fin connaisseur de la culture chinoise, un incontournable du quartier et grand « tisseur de liens ». Il ne se passe pas une seconde sans que Donatien ne dise « Bonjour » – ou le plus souvent « Nǐ hǎo » -, à l’un de ses amis du voisinage. Je me rends vite compte qu’il adore serrer des mains, envoyer des sourires et avoir un mot pour chacun. Il plaisante en me disant “Tu vois, je suis un peu le maire de Belleville !”.
Amoureux de la Chine et de sa culture, habitant Belleville depuis plus de 25 ans, Donatien est très intégré dans la communauté chinoise. Il a monté l’association Chinois de France, Français de Chine, qui « aide les Chinois à apprendre le français, et propose aux Français de découvrir la culture chinoise et ses particularités ». Marié à une Française d’origine chinoise, il se sent plus Chinois qu’elle et se félicite d’être appelé parfois « le dragon blanc ».
Rendez-vous près du kiosque à journaux où Donatien, plaisantin, tente de me faire lire les titres des quotidiens chinois. Évidemment, je ne suis pas comme lui – à pouvoir décoder tous les sinogrammes -, en riant, nous débutons notre voyage.
Donatien me donne un mini-cours d’histoire de l’immigration chinoise en France, avec sous les yeux une carte de Chine. La présence chinoise à Paris date de plus d’un siècle et notre capitale a vu arriver plusieurs vagues d’immigration.
L’immigration chinoise à Paris : les différentes arrivées.
La première vague date de la Grande Guerre ; manquant de main-d’oeuvre, la France est allée en Chine chercher ouvriers et travailleurs agricoles pour remplacer ceux partis sur le front. Après le dur labeur puis l’aide à la reconstruction de notre pays, plusieurs milliers de Chinois sont restés en France, et se sont installés près de la Gare de Lyon -à L’Ilot-Chalon, rasé dans les années 70 -, puis dans le Marais.
Ces Chinois étaient majoritairement une communauté dite de colporteurs, originaires de la province de Zhejiang appelés Wenzhou. Très vite ils ont commencés à travailler pour (puis avec) la communauté juive – majoritairement des grossistes dans le quartier des Arts et métiers – d’où leur installation historique dans le Marais.
La deuxième vague, c’est l’arrivée des Teochew – grande diaspora de chinois vivant depuis longtemps au Vietnam, au Cambodge et au Laos. Les premiers Indochinois arrivèrent en France après 54-55, puis les seconds lors de la guerre du Vietnam. “ Cette communauté est lettrée, d’un certain niveau social et culturel, bien intégrée à la communauté française de l’ex-Indochine. Ici, en France, malheureusement, leurs diplômes et compétences ne sont souvent pas reconnus. Très communautaires et isolés de fait, ils ont décidé de reproduire un bout de leur Asie dans le 13ème arrondissement, afin de “vendre de l’exotisme” mais surtout pour perpétuer leur traditions et mode de vie. Ils se rassemblèrent donc pour ouvrir des commerces : des chinoiseries, des marchés exotiques, des restaurants, des herboristeries… ”
Ensuite, arrivent les tristement célèbres « boat-people », ces Chinois et Indochinois qui fuient par bateaux les régimes communistes. Arrivés à Paris, ils s’installent en grande partie dans le XIIIème arrondissement, dans les grandes tours vides du “triangle d’or”, entre l’avenue de Choisy, le boulevard Masséna et l’avenue d’Ivry.
La troisième vague d’immigration est plus récente, son origine géographique différente et son rang social également. “ Les nouveaux migrants chinois viennent du Nord de la Chine, on les appelle les “Dongbei” (Nord-Est en Mandarin) et viennent ici pour “tenter leur chance”. Contrairement aux précédentes arrivées, ce sont des gens assez isolés et pour beaucoup des femmes seules. Les Dongbei sont éparpillés dans tous les quartiers chinois de Paris et ont plus de mal à s’intégrer. Ne bénéficiant pas de l’entraide qui existe fortement dans les autres communautés, ils acceptent des petits boulots, sont souvent précaires et généralement assez mal-vus des Chinois eux-mêmes. ”
Qui sont “les Chinois” de Belleville ?
Donatien m’interroge :
“C’est quoi pour toi les Français ?”
“Euh…ça dépend.”
“Bah voilà, les Chinois c’est la même chose !
Les Chinois sont loin d’être tous pareils, ils viennent de régions différentes et ne sont donc pas une communauté homogène. À Belleville il y a des Wenzhou, des Chaozhou, des Dongbei, ils sont en France depuis des générations ou depuis au moins une décennie, ils sont réfugiés politiques ou migrants économiques, ils n’ont pas la même origine : donc parler “des Chinois”, ça ne veut pas dire grand chose.”
Belleville, à cheval sur 4 arrondissements (le 20ème, le 19ème, le 10ème et le 11ème), est très cosmopolite. Différentes communautés y cohabitent et de nombreuses langues y sont parlées ; c’est “Babel-ville” pour beaucoup.
À la fin des années 70, avec l’ouverture politique de la Chine, c’est une nouvelle vague importante d’habitants de Wenzhou – ville portuaire au sud de Shanghai et immense région – qui arrive dans le quartier de Belleville. A cette époque, subissant une forte démolition d’immeubles vétustes puis une restructuration importante, Belleville est réagencé avec des tours HLM et une multitude de locaux commerciaux à reprendre. Les Wenzhou arrivants ont déjà famille et connaissances à Paris, c’est une communauté très soudée et c’est tout naturellement qu’ils se mettent à travailler dans la confection du cuir et dans la restauration. En 1978 s’ouvre d’ailleurs le premier restaurant chinois à Belleville : actuellement le Guo-Min, à l’angle de la rue de Rampal et la rue de Belleville. D’après Donatien, les Wenzhou forment la communauté la plus importante de Belleville, ils y sont majoritaires et de nombreux restaurants de Belleville affichent fièrement cette appartenance.
Dans les années 80 c’est l’arrivée des Teochew, des Chinois d’Indochine, pour la plupart commerçants et déjà installés dans le 13ème, qui emménagent à Belleville. D’où l’apparition de nombreuses cantines vietnamiennes où les banh-mi sont délicieux et des restaurants où le “Pho” est la soupe mise à l’honneur.
Les derniers Chinois à arriver à Belleville sont les Dongbei, essentiellement des femmes et des hommes du Nord-Est de la Chine, âgés de 40 à 50 ans. “La plupart licenciés d’entreprises industrielles d’État, ils viennent en France pour se créer une nouvelle vie ”. D’après Donatien, ils sont issus d’une classe moyenne, la plupart des femmes sont mariées mais souvent séparées avec un ou plusieurs enfants. Ces Dongbei n’ont pas le soutien d’une diaspora déjà installée à Paris et leur intégration est de ce fait plus difficile. Placés chez des commerçants ou travaillant comme ouvriers, les Dongbei ont du mal à survivre à Paris. Contrairement à d’autres communautés chinoises qui cultivent la discrétion, beaucoup de femmes Dongbei sont connues pour exercer le plus vieux métier du monde sur les trottoirs de Belleville.
Oui, les Chinois de Belleville sont bien d’origines diverses !
Il y a plusieurs communautés, qui ne se côtoient que très peu, sauf parfois au moment des repas. Dans la rue de Belleville, on remarque une division qui émane de ces vagues d’immigration. Côté 20 ème arrondissement, les nombreux restaurants Wenzhou se succèdent et partagent le trottoir de droite avec des cafés kabyles et boulangeries tunisiennes tandis que le côté 19ème arrondissement est plutôt dédié aux commerçants d’Asie du Sud-Est. Dans le 10ème s’ouvrent des boui-boui chinois originaires du Nord-Est de la Chine.
“Paris est la seule ville au monde où il y a plusieurs quartiers chinois !”
- Le quartier d’Arts & Métiers, le plus ancien quartier chinois de Paris, où se situent les maroquineries, les ateliers de fabrication de bijoux, etc.
- Le 13ème arrondissement, les Olympiades : le plus connu et pourtant le moins chinois! Donatien explique que la communauté chinoise du 13ème est en fait une communauté d’Asie du Sud-Est. C’est à dire des chinois immigrés depuis parfois plus de 4 siècles au Laos, au Vietnam, et au Cambodge.
- Belleville, mise en lumière dans cette « balade à Belleville la Chinoise ».
Il y a aussi quelques communautés chinoises dans les quartiers de La Chapelle, Crimée, Faubourg-St Martin, mais aussi en banlieue comme à Aubervilliers, Pantin, Bagnolet, Bobigny…
Comment choisir un bon restaurant chinois ?
Après avoir poussé nombreuses portes de petits restaurants chinois, je demande à Donatien comment fait-il pour choisir ses cantines.
“Tout d’abord, je fuis les restaurants qui indiquent « CUISINE ASIATIQUE », c’est comme si on mettait sur nos devantures « cuisine européenne », ça ne veut rien dire. Les Chinois sont commerçants et veulent attirer le plus grand nombre, ainsi il est commun de voir « Spécialités chinoises, thaïlandaises, vietnamiennes ». Cela a du sens : la cuisine chinoise parce que c’est leur origine, vietnamienne parce que les Français ont l’habitude d’en manger – même si pour beaucoup ils ne font pas la différence entre des nems et un rouleau de printemps – et thaïlandaise parce que c’est là où les Français partent en vacances ! Vous iriez réellement manger dans un resto qui affiche « Spécialités Européennes » ? Alors, pour les restaurants chinois, c’est pareil ! Ensuite, mon autre conseil c’est d’arrêter de croire qu’un bon resto chinois c’est là où il y a beaucoup de Chinois ; sinon, courez de suite chez Hippopotamus, c’est blindé de Français ! Franchement, si vous voulez manger dans un bon resto chinois et profiter de chaque lieu, il faut au minimum s’intéresser à la devanture et s’attarder un peu sur le menu affiché dehors.”
Arrêtés devant nombreux boui-boui Donatien me décrypte les idéogrammes. “Ils sont souvent destinés aux Chinois car ils disent quel type de cuisine on y trouve et parfois même les spécialités. Tout est très codifié et c’est ça le secret !”
Évidemment, tout le monde ne maitrise pas le chinois mais en tant qu’aventuriers gourmands, je vous invite à pousser les portes de nombreuses cantines chinoises bellevilloises et à tester les adresses de Donatien :
> Wen Zhou- Chez Alex (resto et salon de thé Wen Zhou) : 24, rue de Belleville, 75020 Paris
> Cantine de Nouilles : 16 rue Civiale 75010 Paris
> Chen Market (supermarché) : 120/124 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris
> Pâtisserie You Wei : 5 rue Civiale 75010 Paris
> Best Tofu (Vente de tofu et casse-croûte sur place) : 9 boulevard de la Villette 75010 Paris
> Herboristerie Kang Long : 17 rue Civiale 75010 Paris
> Bubble tea (pour une boisson fraîche) : 15 rue de Belleville 75019 Paris
> Dong Fa (resto de soupes de nouilles tirées à la main) : 26 rue de Belleville 75020 Paris
>>> PRATIQUE >>>
On réserve ?
Visite “Belleville la Chinoise”
http://www.parissurchine.fr/
Téléphone : 06.30.75.47.22
e-mail : cffc75@yahoo.fr
Pour qui ? Les curieux, les ethnologues en herbe et les gourmands.
Les plus ? La visite est intéressante, pas chère et le guide est un vrai sinophile.
Combien de temps dure la visite ? Initialement 2h30. Si vous avez des questions et le temps de bavarder avec Donatien qui aime bavarder, la visite peut s’allonger.
Pour les curieux…
Voici quelques suggestions pour en savoir d’avantage sur la présence Chinoise à Paris:
Musée de l’immigration à la Porte Dorée et grand choix d’ouvrages à lire sur place à la médiathèque.
Livre bilingue “Chinois de France” édité par la Librairie You Feng.
2 Commentaires
Moi j’ai adoré cette balade.. Et je suis ravie d’avoir appris autant de choses !!
J’ai hâte d’aller redécouvrir ce quartier de Paris avec un nouveau regard…
Sylvie
Une balade gourmande dans Belleville fin Février, ça intéresse des gens ?